Comment s’adapter à l’affaiblissement probable du dialogue social de proximité ?

dialogue social

Le passage obligatoire à une instance unique (CSE) au 1er janvier 2020 fait disparaître les acteurs à qui il incombait le maintien d’un dialogue social de proximité. Il s’agit des délégués du personnel (DP) et des membres désignés pour siéger au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT).

Ce changement a souvent été présenté comme une opportunité de gains de performance pour les entreprises (moins d’élus, moins d’instances, moins de temps passé en dialogue social), mais peut-elle être aussi porteuse de risques ? Quels risques spécifiques cette mise de l’instance à distance du terrain peut-elle aggraver ou potentialiser pour les entreprises et le personnel ?

  • Pour la direction générale, elle peut renforcer des situations où des informations importantes (concernant la maîtrise des risques opérationnels par exemple) qui sont disponibles au niveau du terrain, mais ne remontent pas et ne peuvent donc pas être prises en compte dans la conception des décisions stratégiques. « De nombreux mécanismes concourent au silence organisationnel » constatait François Daniellou en 2017.
  • Dans la ligne hiérarchique intermédiaire, cet éloignement des instances peut accroître la place des réflexions quantitatives des spécialistes en gestion, mais qui ne connaissent pas tous les détails de la fabrication des biens et des services produits dans l’entreprise qu’ils gèrent. « L’essentiel de ce que nous appelons le management consiste à rendre difficile le travail des gens » avertissait déjà Peter Drucker au cours des années 1980.
  • Les dirigeants de proximité peuvent être confrontés à des problèmes plus ou moins bien définis, perceptibles et déclarés dans leurs équipes. L’affaiblissement du dialogue social au voisinage de leur périmètre peut laisser perdurer ce type de situations et renforcer les tensions entre les rôles que l’entreprise attend de cette catégorie d’encadrants : tantôt faire appliquer des décisions de l’entreprise qui leur paraissent coupées des réalités quotidiennes, tantôt faire remonter les enjeux à anticiper et répondre à des besoins de soutien de l’équipe qui leur semblent de plus en plus lourds.
  • Pour le personnel, ce que le travail demande pour faire ce qu’il y a à faire peut cesser d’être visible, d’autant plus rapidement que ceux qui le dirige ont intérêt à ne pas être tenus pour responsables de ses conséquences indésirables (même s’ils restent bien sûr intéressés aux résultats de ce travail). C’est déjà par ce biais que diverses idées directrices des activités collectives ont pu s’imposer par le passé et « ont déconcerté le sens commun de l’humanité » diagnostiquait Adam Smith en 1776.
  • Pour la représentation du personnel mise à distance de ceux dont elle doit garantir l’expression collective, le dialogue social peut rapidement devenir abstrait et formel, alors qu’il s’agissait justement d’essayer avec le CSE d’inventer une nouvelle manière de faire sens en commun. Car la démocratie en entreprise n’est pas seulement un mode de partage du pouvoir. Elle est aussi, pour reprendre l’expression de Tocqueville, une « forme de société » qui – au-delà des dispositions supplétives du code du travail – implique une certaine manière de vivre ensemble. Assistera-t-on à une aggravation de la crise de la représentation entendue à la fois comme déficit de légitimité des représentants et d’impuissance du personnel à s’identifier à ceux-ci ?

Retrouver de la proximité est un véritable enjeu et peut passer par deux catégories d’actions pour les nouveaux élus.

1/ Travailler sur les sentiments de proximité avec le personnel.
De même qu’il est possible de se sentir éloigné de quelqu’un qui est pourtant dans le bureau d’à côté, il arrive que l’on se sente en confiance avec quelqu’un d’éloigné. Le travail sur les sentiments de proximité passe évidemment par de l’empathie et de l’écoute. Attention, toutefois aux effets de la fatigue compassionnelle bien connus dans les métiers du secteur médico-social ou d’assistante sociale, d’autant plus s’il s’agit d’écouter des personnes qui sont en souffrance.

Conseil : si vous savez lire les ressentis sans les juger, en aidant votre interlocuteur à exprimer ce qu’il éprouve, vous pourrez vous protéger en partie de son mal-être, tout en l’aidant à prendre la distance dont il a besoin. Si vous avez besoin d’aide sur ces dimensions psycho-sociales, le recours aux services d’un expert en santé travail est pertinent, soit dans le cadre d’une formation Santé Sécurité Conditions de Travail (SSCT), soit par tout autre moyen tel que l’expertise pour risque grave.

2/ Optimiser l’utilisation des moyens de l’instance.
Cela implique d’acquérir de nouveaux réflexes, de nouvelles techniques : définir une stratégie, négocier des moyens adaptés (tels que les représentants de proximité ou encore le cadre de recours aux expertises), etc. Cela passe nécessairement par de la division et de la coordination du travail en interne entre élus du CSE (suppléants y compris) et en externe (recours aux acteurs externes de la chaîne de prévention : inspection du travail, expert santé travail, CARSAT, médecine du travail). Attention en effet à ne pas tout faire reposer sur quelques membres ou un seul. L’hypercentralisation peut exposer certains élus aux effets délétères de l’intensification du travail (les postes de secrétaire et de trésorier du CSE sont particulièrement exposés). Inversement la délégation implique de formaliser des « pouvoirs », d’encadrer et réguler les pratiques de délégation.

Conseil : former une véritable « équipe CSE », réfléchir à une stratégie collective et entamer un véritable travail d’adaptation des moyens de l’instance aux enjeux de votre entreprise.

 

Article rédigé par

Charles BOURDELLON
Expert CSE – Sociologue
Cabinet Physiofirm
c.bourdellon@praelium-groupe.com
Tél : 04.90.83.71.93

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